Chapitre 17
Tout en soupirant, je m’affalai sur le lit : j’étais tellement fatiguée. Dormir…c’est tout ce que je demandais, rien de plus compliqué. Puis, j’éteignis la bougie, Yasalyn déjà enveloppée dans ses couvertures.
- J’aime la nuit…murmura-t-elle.
- C’est le seul moment où l’on a la possibilité de véritablement dormir, certes…lui répondis-je.
- « Dormir » est parfois du gâchis.
- Oui, oui, c’est ça…dis-je agacée. Endormez vous à présent.
Il y eut alors un silence interrompu par le huhulement d’un hibou.
- Diphtil ?
Je grognai, désirant à tout prix qu’elle me fiche la paix un seul moment,le temps que je puisse trouver le sommeil.
- Ne vous êtes vous jamais promener la nuit dans la forêt ? Surtout lorsque la Lune est visible, tout est alors contraire au jour, mais il reste toujours bonheur. N’avez-vous jamais entendu les animaux nocturnes et senti l’humidité qui commence à taposser les plantes ? Vous ne voyez presque rien, vous paraissez libre au milieu de nulle part.
- Mes rêves me suffisent largement…grognai-je.
- Peut-être, mais les rêves sont impossibles, invivables…
- Qu’en savez vous ?
- Beaucoup trop de choses,me répondit Yasalyn.
Elle soupira.
- J’aimerai tellement…sortir dehors…
- Et bah…vous attendrez demain !
- Mais la nuit.
- Bah…demain soir ! En tout cas, vous restez ici !
- Et pourquoi devrai-je vous obéir ? me demanda-t-elle.
- N’allez pas prendre de risques inutiles…
Je la sentis quand même hésitante de sortir. Alors, par précaution, mais dans un même temps, à contrecœur, je me levai, fermai la porte à clef et glissai celle-ci sous mon oreiller.
- Le problème est réglé, concluai-je. Bonne nuit.
Elle marmonna des jurons et se retourna dans son lit.
Adossé contre le mur de la fenêtre, Naid regardait au dehors.
- Le ciel est partiellement couvert, observa-t-il. Il y a des risques que nous voyagions sous la pluie demain.
Astiran, sur son lit, les bras derrière la tête, soupira.
- Ce n’est que de l’eau, cela ne nous fera pas de mal.
Mon frère hocha la tête, le regard toujours vers l’extérieur.
- A quoi penses-tu ? lui demanda Astiran, curieux.
- A rien…répondit Naid en haussant les épaules.
- Arrête de me mentir, dit Astiran. Je sais bien que tu es plongé dans diverses rêveries. A quoi donc songes-tu.
Naid ne répondit pas à l’instant.
- Tu peux faire confiance à Yasalyn, toi ? demanda-t-il.
- Je savais bien que cette fille occupait tes pensées. Pourquoi me demandes-tu cela ?
- J’ai l’impression d’être le seul…Regarde Diphtil.
- Elle se fait du souci pour toi, c’est différent.
- Mais pourquoi se fait-elle donc du souci ? Je suis assez grand pour me débrouiller seul.
- Elle est ta grande sœur, me semble-t-il.
Naid détourna ses yeux du ciel pour les diriger vers ses pieds.
- Tu sais… commença-t-il. La première fois que j’ai vue Yasalyn, je croyais déjà l’avoir rencontrée.
- Ah bon ? Où ça ?
- Dans un rêve…
Astiran se mit à rire.
- Ca devait sûrement s’agir d’un cauchemar où elle te poursuivait pour t’étriper !
- Non…au contraire ; Elle semblait si douce, si gentille. C es baisers étaient ces armes, sa beauté et sa tendresse sa défense.
- Naid, je crois que tu es amoureux.
- Non, pas à ce point. Mais je suis sûr qu’il y a quelque chose de bien chez cette fille. Malgré ses envies de tuer, cette sauvagerie, elle cache un secret renfermé au fond d’elle-même.
- Peut-être que oui, peut-être que non…Mais pourquoi ne lui as-tu jamais dévoilé la vérité, que c’était toi qui l’avait délivré des brigands ?
- Je ne me voyais pas lui avouer cela. Je déteste jouer les héros. Et pui…cela importe peu.
- Qu’est ce que tu racontes, Naid ? Ce n’est pas rien ! Tu lui as sauvé la vie !
Mon frère ne répondit pas.
- A présent, dit-il, tout va bien, c’est ce qui compte pour moi.
- Pour moi, le plus important, c’est Diphtil aille bien.
- Oui, sinon, pourquoi serions-nous ici ?
- Elle tiens énormément à toi, Naid.
Il resta silencieux.
- Cela se lit dans ses yeux, continua Astiran.
- Et pourtant, durant onze années nous avons été séparé…
- Peut-être, mais durant tout ce temps, elle n’a cessé de penser à toi. Elle était toujours persuadée que tu étais en vie. D’ailleurs, tu apparaissais dans la plupart de ses rêves. Je me souviendrai toujours de la façon dont elle m’a parlé de toi, la première fois…
Flash Back
Astiran, petit garçon âgé de onze ans, à l’époque, des cheveux châtains en bataille, un visage malicieux, des yeux marrons en amandes, qu’il gardera toujours. Il courait dans un couloir, puis, s’arrêta devant une porte. Alors, Il y frappa.
- Diphtil ? Tu es là ?
Il ne perçut que des sanglots venant de la chambre. Alors, lentement, il ouvrit la porte et passa sa tête par l’ouverture. J’étais bien là, assise sur mon lit, face à la fenêtre, dos à la porte, ma tête dans mes mains. Astiran s’approcha lentement, à pas de loup, et veilla à refermer la porte. Puis, il arriva à moi.
- Qu’est ce que tu as ?
Il s’assit à côté de moi sur le lit. Puis, je me découvris peu à peu mon visage de mes mains. De mes yeux tout rouges, il en sortait des larmes, telles des fontaines. ¨Puis, elle dévalait la pente de mes joues.
- Je pense…à …quelqu’un…sanglotai-je.
- A qui ?
Je ne réponds pas, laissant la question en suspens.
- A…à…mon petit frère…
Il ouvrit grand les yeux.
- Tu ne m’avais jamais avoué que tu avais un frère. Comment s’appelait-il ?
- Naid…
- Tu l’aimais beaucoup, c’est ça…
Je hochai la tête.
- Oui, je l’adore…
- Comment était-il ?
- C’est un garçon très joueur, avec lequel je m’amusais beaux aux cache-cache…Il a remplacé mon père quelques fois…Et même si il m’énerve à certains moments, je n’arrive pas à lui en vouloir, je l’aime tellement…
- Vous étiez… ?
- Arrête de parler au passé ! l’interrompis-je en criant. Il n’est pas mort, j’en suis sûre et certaine, et un jour…
Je n’arrivai pas à finir ma phrase, j’éclatai de nouveau dans une crise de larmes. Pris de pitié, Astiran s’approcha de moi et m’attrapa la main.
- Moi aussi, je connais cela…me murmura-t-il.
- Il me manque…mais j’attendrai…
Fin flash back
Naid hocha la tête pensivement.
- A moi aussi, elle m’a terriblement manquée durant toutes ces longues années que j’ai vécu seul. Mais, je me suis promis de la retrouver.
- Tu ne la savais pas morte non plus, c’est cela…
- Elaeis m’a dit qu’elle était toujours en vie, et je crois toujours en ces paroles. Je l’ai pendant longtemps recherchée à travers tout le Royaume d’Edenor, au péril de ma vie. Il m’en restera des traces…
- Des traces ? demanda Astiran.
- Oui…autant physiques que mentales…
Il y eut un silence.
- Quoi qu’il en soit, je l’ai retrouvé.
- Tu as donc passé une enfance difficile, Naid…
- Si l’on peut dire. Surtout sur la période entre mes huit et mes douze ans, car je ne savais pas encore me battre à cette époque, je n’étais qu’initié au monde du vol et du vagabondage.
- Mais, à présent, tu es expérimenté, je l’ai bien constaté l’autre jour lors de ton combat contre Yasalyn.
-…Et toi ? Comment as-tu vécu ton enfance ?
Cette question saisit le cœur d’Astiran.
- Pas facile non plus… Mon père était forgeron de la ville où j’ai grandi : Emessen. Mon frère, Ewen, avait cinq ans de plus que moi. Par contre, je n’ai jamais connu ma mère, elle est morte en me mettant au monde. Mon père m’a dit beaucoup de bien d’elle, mais l’envie de la voir ne cessait de me tourmenter. Malheureusement, et c’est normal, mon vœux ne s’est jamais réalisé. Mais le plus difficile, c’est que mon père était… « dur » …
- Qu’appelles-tu « dur » ?
Flash back
Assis à même la terre, au bord de la rivière, Astiran dessinai des formes dans la boue avec son doigt. Il aimait ressentir ce mystérieux contact avec la nature. A huit ans, il était déjà doté d’une sagesse d’un enfant de douze ans. Dans la glèbe, il avait tracé un visage enfantin d’une jeune fille à laquelle il rêvait souvent ces derniers temps. D’ailleurs, il savait bien dessiner pour son âge. Plusieurs minutes s’écoulèrent, durant lesquelles il observa son œuvre en silence, un sourire malin aux lèvres, les oiseaux, dissimulés dans les frondaisons des hauts arbres recouverts de feuilles vertes, chantaient gaiement.
- Astiran ! entendit-il crier.
A cet appel, il se leva subitement, apeuré, regarda autour de lui, et apercevant des mouvements à gauche, se mit à courir dans le sens inverse, suivant le cours de la rivière, écrasant de ses légers pas d’enfant son dessin dans le sol.
- Astiran ! Reviens ici !
Mais, il ne se retourna pas et continua sa course infernale. Il avait peur. Derrière lui, il entendait des pas plus lourds et plus rapides qui le poursuivaient. Il courait à en perdre haleine, mais peu lui importait, il devait fuir. Soudain une main saisit sa veste qui l’arrêta dans sa course.
- Lâche moi père ! dit-il en se débattant du mieux qu’il pouvait.
Mais, pour toute réponse, il le gifla violemment.
- Espèce de maudit garnement ! Je t’avais formellement interdit de te rendre à la rivière !
- Mais…je devais y aller…
- Il n’y a pas d’excuse possible !
Alors, il le lâcha à terre et commença à lui assener des coups.
- Père ! Arrête ! cria une autre voix.
Une silhouette s’interposa.
- Ewen…ne te mêle pas de ça, dit le père.
Ewen était un jeune homme qui n’avait que peu de traits en commun avec Astiran. Ses cheveux bruns ténébreux poussaient en bataille sur sa tête. Certes, il était grand pour son âge. Mais, le seul point familial avec son petit frère, c’étaient ses yeux marrons, doux et rêveurs, mais à la fois emplis d’une détermination qui faisait trembler quiconque croisait son regard. Et comme son frère, il les tenait de sa mère.
- Je ne m’en irai pas, tant que tu ne t’arrêteras pas !
Astiran, les larmes aux yeux à cause de la douleur et de la peur, se recroquevilla en regardant la scène.
- Comment peux tu faire ça à ton fils…à mon petit frère ! T’en rend-tu un peu compte !?
Malgré ses treize ans, Ewen était très autoritaire, tout en restant assuré.
- Tu as vu, continua-t-il, tout le mal que tu lui fais, qu’il doit subir ! Crois-
tu que cela est juste !?
- Il n’avait pas à s’enfuir !
- Cela n’est pas une raison !
- Si ça en est une !
Sur le visage rouge du père, on y lisait la forte tentation de coller une baffe sur la face de son fils aîné. A terre, Astiran le regardait, totalement apeuré, il sanglotait. Alors, son père pointa Ewen de son doigt boudineux.
- Je te préviens, Ewen, tu le regretteras de t’être ainsi mesurer à moi, ton père.
- Tu n’es pas digne d’être nommé père…murmura Ewen.
Mais, il fit semblant de ne pas avoir entendu la remarque de son fils aîné.
- Et toi, sale garnement ! ajouta-t-il lorsqu’il regarda Astiran. Tu vas également être sévèrement puni !
Sur ces mots, il partit en fulminant. Ewen se retourna vers son frère, l’air désolé. Il s’agenouilla et le prit dans ses bras.
- Oh Astiran ! Si seulement j’étais arrivé plus tôt…
- Non, c’est entièrement ma faute… Je n’aurais jamais dû aller à la rivière, je sais bien que père me l’avait défendu…
- Il n’avait pas à te frapper de toute façon.
Astiran se serra fort contre lui.
- C’est toi qui vas te recevoir des coups par ma faute, sanglota-t-il.
- Mais non…ne n’inquiète pas pour moi.
- Si, je m’inquiète, grand frère…
- Je préfère subir ta souffrance, plutôt que de te voir souffrir pour rien.
- Pourquoi fais-tu cela, Ewen ?
- Parce que tu es mon frère…
Des gouttes de sang provenant du nez d’Astiran coulèrent dans la glèbe, donnant ainsi un horrible mélange, accompagné de larmes.
Fin Flash back